Le moine et la gadji, un titre intriguant et facétieux pour une histoire peu ordinaire. Un plateau nu. Presque nu. À jardin, une valise. À cour, deux chaises de poupées. La valise est petite et pourtant un très grand voyage nous attend. Une formidable saga familiale qui débute dans l’immédiat après-guerre. Nous voilà à la table d’une famille très chrétienne, très nombreuse et très extra-ordinaire, où les enfants naissent et poussent comme des champignons. Où la joie se mêle à l’autorité. Où l’on prie, où l’on chante, où l’on marche une-deux-une-deux avec les Marie et les Jean. Où les questions restent souvent sans réponse. Chez les Berot-Lalande, on tire le diable par la queue mais on part en vacances. Jean-Do, héros singulier, nous dévoile ses territoires. Enfant, fils, frère, adolescent ou jeune adulte, nous parcourons avec lui les allées du château, les chambres de l’appartement de Riom. Nous jubilons de nous trouver nez à nez avec le Monsieur des allocations, à la porte des toilettes, dans le bureau de Désiré, le père, où défilent les gitans, dans la roulotte-école de Georgette, la mère qui tricote-fait-sa-gymnastique-la comptabilité-le secrétariat. Dans le placard de l’oncle qui se maquille avec les onguents de sa défunte femme. De nous glisser avec les cousins dans les délicieux étés de la maison des Tilleuls au bord de la Garonne. Gratitude, nostalgie, ignorance, étonnement, découvertes. Et LA question qui toujours reste en suspens.
Tous ces lieux sont le théâtre de son propre voyage intérieur. De cette innocence révélée. De ce trouble à avoir des mains si fines, de longues jambes de fille, un corps délicat et à ne pas savoir ce qu’il va falloir faire de toute cette féminité quand on est un garçon. Surtout dans cette famille-là. Et pourtant, Jean-Do suivra son chemin. Pas celui qu’on lui propose. Un autre. Avec détermination. Avec courage. Dans la douleur parfois mais avec la joie de s’accomplir.
On ne s’appesantit jamais, on rit beaucoup, on pleure parfois, on est ému, on est touché au cœur.
Le théâtre de Denis Bernet-Rollande manie la fantaisie toujours au bord d’un ineffable grincement. On pourrait pleurer de ce qui nous fait rire. C’est le rire poétique de Beckett. Sans la noirceur. Ce quelque chose qui pourrait nous faire basculer sur l’autre versant. Et puis, une pirouette et voilà la distance où l’on peut retrouver la légèreté des choses et la drôlerie absolue. C’est là que son théâtre excelle. Dans la vie, les plumes et les belles gambettes !
A.C