Dans le silence des matins, seul je prends le
chemin de l’atelier en respirant l’air du
grand ciel.
Exactement, j’emprunte le chemin.
Je ne prends que le moment du pas.
Et puis je laisse le chemin derrière moi.
Pour le prochain pas d’un suivant.
Je marche seul dans les pas du nombre
dont les corps sont absentés.
Je marche des maintenants, seul, avec déjà
la mémoire des pas d’autres nombres à
venir.
Je suis seul et nombreux, dans l’instant du
présent chargé tant de passé que d’avenir.
Ma solitude est relative.
Mon être là, se construit perpétuellement
en relation avec nombres d’autres là.
À ces moments, le silence des matins est
vivifié de pépiements subreptices et de
caresses d’air.
Le silence est nombreux. Lui aussi est
relatif.
Le silence des matins est un mouvement
très calme nourri de notes infimes et
infinies.
Ce que je nomme l’air, comme entité
cohérente, est un ensemble constitué de
moments multiples aux fragrances et
températures variées.
L’air ne se voit pas. Il se sent.
Il est de parfums changeants de terres, de
fleurs, de pierres, d’excréments d’animaux,
de différentes verdures, et de températures
transitoires, tramées de courants de lui.
L’air est invisible mais se devine.
Entre l’air et moi il y a un lieu d’égalité.
C’est le lieu du contact. Dans ce même lieu,
au même instant l’air touche ma peau et je
touche la peau de l’air.
Il n’y a pas de volonté dans cet acte lieu. Je
ne peux pas vouloir toucher l’air. Je n’ai pas
le choix. Et l’air non plus.
Si l’air est, je suis. Si je suis, l’air est.
L’air contient tout et échappe
simultanément.
Contrairement à ce qu’on croit, on ne peut
pas prendre l’air.
Plus justement on ne peut prendre l’air sans
le rendre.
On ne peut le garder pour soi.
L’air n’est et ne sera jamais constant.
L’air me contenant est inconstant.
Je n’avale qu’une infime part du contenant.
Je suis par moments successifs, contenu par
l’air et contenant de l’air qui en cet instant
précis se trouve à la fois à l’intérieur et à
l’extérieur de mon corps.
À l’instant de l’inspiration j’ai la sensation
d’être rempli d’air, alors que mon intérieur
est ouvert à l’extérieur.
À ce moment je suis comme un bol.
Je suis plein de vide. Je suis rempli et vide
en même temps.
Une entité limitée et ouverte en même
temps.
À cet instant, l’intérieur et l’extérieur se
confondent comme la peau intérieure du
bol rempli d’air se continue et se confond
avec sa peau extérieure.
Ainsi, comme pour le ruban de Möbius
dont les deux faces se confondent en une
seule, lorsque j’inspire je suis illimité.
La puissance poétique c’est le souffle
inspiré.
Je ne peux échapper à l’air qui s’échappe et
me contient lors même que je crois le
contenir.
Je ne peux échapper à l’infini de l’espace.
Lorsque je suis seul et m’intériorise, les
yeux ouverts je suis en relation avec cette
immensité qui échappe et contient.
À ce moment je résiste au conditionnement
d’être quelqu’un de limité.
Lorsque je m’intériorise, je me sens
réellement plus grand que ce que je perçois
de ma partie physique.
À ce moment, du réel ou du poème, lequel
dissout l’autre ?