Une pirouette mentale, ma contribution pour la librairie Le Bleuet

Une pirouette mentale

 Au cours de la nuit pascale, je rêve que Samson est une femme. On verra plus tard qui lui coupe ses longues tresses, chevelure croissant lentement de la terre vers le ciel. Mais disons qu’à mon réveil c’est décidé : ce sera désormais Samsonne qui terrasse le lion, qui découvre l’essaim d’abeilles et le miel tapissant le ventre de la bête. La ruche dans le corps du lion. Du fort est issu le doux. La mort sculpte le vivant écrit Jean-Claude Ameisen. Masculin et féminin mêlés. Et tout cela à notre insu.

Prolongeant le délice du lit, je goûte le miel et le silence. Soleil dru monte derrière les volets clos. Effluves d’un agneau de sept heures qui mijote déjà dans le four. Les enfants jouent au très loin. Avec les oiseaux. Au-delà des montagnes, des routes, des océans. Ils me manquent. Leurs chambres là-bas sont devenues jardins. Leurs corridors. Leurs cuisines. Salons. Balcons. Les cloches ont oublié les papiers dans la corbeille—dit l’enfant à sa mère.

Dimanche de Pâques, donc. Résurrection nous dit-on ? Quelle sera la nôtre ? Quelle sera la mienne ? Quelle espérance? Quelle expérience? Quelle sortie d’Egypte? Quelle pirouette mentale sur le talon —selon la belle formule d’Edgar Poe—faudra-t-il exécuter ? Une pirouette qui permettrait d’embrasser l’univers. De changer de cap, mon capitaine. Nous sommes les capitaines de notre grand vaisseau. Je me dis ça. Je me lève et descends au jardin.

 

           Plus tard, j’écris ces lignes encore :                                                           

 

Voilà notre secret face

à l’immensité. Face

à l’ordre intimé — Tout cesser

sous peine de mort

alors =

 

Presque depuis toujours quand le gris enveloppe

mes pieds au carreau

mes rêves de santé

quand la colline se rapproche

si je ne sais comment existent les saisons —

et l’été de la Saint Martin

 

comment se conjuguent les feux

au bord des plaines de l’enfance

les traces de pas sur un ciment frais

la faveur de la nuit.

les lucioles. Encore

 

                         je connais le parfum des doublures

                         à l’intérieur des vieux manteaux

                         les granges où l’on entrait à pas de loups

                         le crépitement des orages d’été

                         où les saisons dormaient d’un sommeil de plomb. Au

                         beau milieu du temps.

 

                         Un papier dégrafé envolé dans l’azur d’un après-midi

                         d’accalmie  

                       

                         Rien n’est bien épais qui ne subsiste

 

                                  (Sapiens, fragment d’un livre en cours)

 

                                                              Sault, Pâques 2020, pour le Bleuet